top of page

MASTERCLASS CLAIRE DENIS

 

MASTERCLASS • CINÉMA

VENDREDI 27 SEPTEMBRE 2024

STUDIO KREMLIN • 19H30

 

HORSCHAMP et LA KOLOK sont heureux de vous annoncer leur première masterclass de la saison, au Studio Kremlin.


Vendredi 27 septembre prochain, Claire Denis sera l’invitée de Léolo Victor-Pujebet et Simon Courtois. Un événement ouvert au public, dans la limite des places disponibles.


Cette rencontre plongera dans l’audace d’une cinéaste qui réinvente, film après film, un langage des corps et des territoires, en bouleversant les normes établies. Une immersion dans l’univers d’une réalisatrice pour qui chaque œuvre est un acte de résistance, de tension et de liberté.






Claire Denis, une cinéaste au carrefour des mondes


Née à Paris en 1946, Claire Denis a passé son enfance en Afrique dans une période marquée par la fin des empires coloniaux et les premières indépendances, traversant des pays comme le Cameroun, le Burkina Faso, la Somalie et Djibouti. Fille d’un administrateur des colonies, elle a vécu au contact d’une culture européenne tout en s’imprégnant profondément des réalités africaines. Dès son plus jeune âge, elle ressent cette tension entre deux mondes, où la blancheur de sa peau la distingue des autres enfants et des adultes qui l’entourent. « Être blanc était une étrangeté », dit-elle, et cette sensation de décalage, qu’elle associe à la colonisation, sera déterminante dans sa vision artistique future. À travers ces années, elle développe une perception aiguisée des rapports de pouvoir, des inégalités structurelles, et surtout de la manière dont les corps interagissent dans des contextes marqués par la domination. Pour la cinéaste, l’Afrique est une terre de contrastes, d’émotions sensorielles et de mémoires complexes, à laquelle elle reviendra sans cesse dans son œuvre.


Ces années passées en Afrique constituent les fondations de son imaginaire cinématographique. « Je me souviens des couleurs, des fleurs, des fruits, de l’odeur de la terre pendant la saison des pluies... Ces sensations marquent le corps pour toujours », se souvient-elle. L’Afrique, omniprésente dans des œuvres comme Chocolat (1988) et White Material (2009), reste un espace cinématographique où le territoire dialogue avec la mémoire coloniale. Cette relation intime avec les paysages africains, cette imprégnation sensorielle, imprègne profondément ses films, où les décors et les textures ne sont jamais de simples arrière-plans, mais des éléments narratifs essentiels. Le rapport au territoire, aux paysages, est omniprésent dans son cinéma. Cependant, à son retour en France à l'adolescence, le sentiment de décalage persiste. Le déracinement qu’elle avait déjà éprouvé en Afrique se transforme en un malaise face à une France qu’elle perçoit comme étriquée et monotone. Le retour à Paris après des années d'errance africaine est brutal. Elle est confrontée à une réalité grise et terne, bien loin des paysages luxuriants et vibrants de son enfance. Cette fracture géographique et psychologique, entre un passé africain presque utopique et une France post-coloniale décevante, devient l’une des tensions fondamentales de son cinéma.



Les débuts : apprentissage et émancipation artistique


Après des études en lettres et sciences économiques, Claire Denis se tourne vers le cinéma et intègre l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC). Formée par des maîtres tels qu’Henri Alekan et Yves Boisset, Denis fait ses premières armes en tant qu’assistante réalisatrice auprès de figures emblématiques comme Jacques Rivette, Wim Wenders et Jim Jarmusch. Ces influences marqueront son approche, notamment la lenteur contemplative et la construction d'une esthétique où l'image prime sur le verbe, comme en témoigne J’ai pas sommeil (1994). Mais c’est avec Wim Wenders qu’elle développe un lien particulier : « Il m’a appris à regarder les paysages, à comprendre comment l’espace pouvait devenir un personnage à part entière », confie-t-elle. Ce regard sur les lieux et les espaces sera déterminant dans la construction de ses propres films, où les territoires, qu’ils soient africains ou parisiens, ne sont jamais des décors neutres, mais des personnages à part entière, porteurs de mémoire et de tension.


En 1988, Claire Denis réalise son premier long métrage, Chocolat, une évocation poétique et subtile de son enfance au Cameroun, marquée par la relation complexe entre une famille de colons et leur serviteur africain, Protée. Ce film, inspiré par ses souvenirs d'enfance, explore déjà les thèmes qui traverseront toute son œuvre : la domination coloniale, le rapport ambigu aux corps, et l'importance du silence dans les relations humaines. La caméra de Denis scrute les corps sans complaisance, les mettant au centre de récits où les rapports de domination se lisent à travers les gestes, les regards, les silences. Chocolat est immédiatement salué pour sa maîtrise visuelle et sa capacité à traiter des questions complexes sans tomber dans le didactisme. Denis rejette les interprétations simplistes de son film, notamment celles qui lui reprochent une « sexualisation » du corps noir. Elle se défend en affirmant qu’elle ne filme ni avec un « male gaze » ni avec un « female gaze », mais avec un regard libre, affranchi des assignations de genre. Cette posture reflète son approche singulière du cinéma, qui échappe aux classifications rigides pour se concentrer sur la complexité des rapports humains. Cette attention aux corps se radicalisera dans des films comme Beau Travail (1999) ou Trouble Every Day (2001), où la chorégraphie des corps devient un langage cinématographique à part entière. Pour Denis, il ne s’agit pas seulement de montrer des corps en action, mais de capter leur énergie intérieure, leur lutte contre les normes sociales et les hiérarchies invisibles.



Une esthétique de la sensation : les corps et les territoires


L’œuvre de Claire Denis est marquée par une approche profondément sensorielle. Le corps y est toujours un lieu d'expression, de tension, de désir, mais aussi de domination et de souffrance. Dans des films comme Beau Travail ou Les Salauds (2013), les corps sont filmés avec une attention presque chorégraphique, capturant la violence contenue des mouvements, des gestes, des regards. Pour Beau Travail, inspiré de la nouvelle Billy Budd de Herman Melville, Denis raconte comment le désert de Djibouti devient le théâtre d’une exploration des tensions masculines, où la rigueur militaire se mêle à des pulsions homoérotiques latentes. La chorégraphie des corps, orchestrée par Bernardo Montet, devient une manière d’explorer les rapports de pouvoir, de jalousie et de désir entre les personnages. « Ce qui importait pour moi, c’était de capter cette rivalité silencieuse qui se manifeste dans les moindres gestes », confie-t-elle.


Cette recherche sur le corps s’intensifie dans Les Salauds, où le corps devient un champ de bataille moral. Denis explore ici la dégradation des corps comme métaphore de la déchéance morale, l’incarnation d’une société gangrenée par la violence économique et sexuelle. Vincent Lindon incarne un homme pris dans un réseau de corruption et de perversions, et la mise en scène, fragmentée et opaque, reflète cette décomposition physique et psychologique. Denis elle-même avoue avoir voulu filmer la noirceur de l’âme humaine à travers des plans « qui ne disent pas tout, mais qui laissent deviner l’horreur ».


Les territoires jouent également un rôle fondamental dans le cinéma de Claire Denis. Qu'il s'agisse de l'Afrique, avec Chocolat ou White Material (2009), ou de Paris dans 35 Rhums (2008), les lieux qu'elle filme sont toujours chargés d'histoire, de mémoire et de conflits. Dans White Material, Isabelle Huppert incarne une femme qui refuse de quitter sa plantation de café en pleine guerre civile. Le film, inspiré de Vaincue par la brousse de Doris Lessing, est une réflexion sur le déracinement, l’obstination et la violence des systèmes coloniaux. La cinéaste ne cherche jamais à moraliser ses personnages, mais les accompagne dans leur errance, laissant le spectateur libre d’interpréter leurs choix et leurs erreurs. Les lieux qu’elle capture ne se contentent pas d’encadrer l’action ; ils résonnent comme des témoins silencieux, chargés des conflits et des histoires qui les traversent, transformant l’espace en mémoire active.



Collaborations et fidélité artistique


L’un des aspects marquants de la carrière de Claire Denis est sa fidélité à ses collaborateurs artistiques. La relation qu’elle entretient avec la directrice de la photographie Agnès Godard est particulièrement significative. Ensemble, elles ont développé une esthétique où la lumière et la texture des images sont primordiales. À travers ses collaborations avec Claire Denis, Agnès Godard insuffle une texture visuelle qui dépasse la simple captation des corps et des paysages, rendant palpable une tension subtile entre l’intime et le monde extérieur. Elles forment ensemble un duo singulier, où la caméra ne se contente pas d’observer mais s’immerge, devenant le médium d’un dialogue muet entre les émotions et l’espace.

La musique joue également un rôle central dans l'œuvre de Denis, notamment à travers sa collaboration avec Stuart Staples et le groupe Tindersticks. La musique ne se contente pas d’accompagner les images ; elle devient une force narrative autonome, capable d’exprimer ce que les dialogues ne peuvent pas dire. La scène finale de Beau Travail, où Galoup danse seul sur « The Rhythm of the Night », est emblématique de ce rapport singulier entre image et musique. Denis utilise la musique pour créer des moments de libération émotionnelle, où les personnages peuvent enfin exprimer leurs désirs et leurs frustrations, sans avoir besoin de mots.



La radicalité formelle et narrative : entre abstraction et réalisme


Les films de Claire Denis échappent souvent à la linéarité narrative classique, optant pour des récits fragmentés, non linéaires, où le spectateur doit assembler les pièces du puzzle émotionnel. Cette tendance se manifeste particulièrement dans High Life (2018), son incursion dans la science-fiction. Dans ce film, le vaisseau spatial devient une prison flottante où les corps sont soumis à des expérimentations scientifiques, mais où la véritable question posée est celle du désir et de la reproduction dans un environnement hostile. Denis utilise ici l’espace clos du vaisseau pour explorer la tension entre la vie et la mort, le désir et la survie. « Pour moi, l’espace est un terrain d’abstraction totale, où l’humain est confronté à sa propre finitude », explique-t-elle.


La cinéaste adopte souvent une mise en scène minimaliste où les silences, les plans fixes et les ellipses narratives créent une tension constante. Dans Avec amour et acharnement (2022), elle filme le couple de Juliette Binoche et Vincent Lindon à travers une distance clinique, où les gestes banals deviennent porteurs de violence latente. Les décors urbains, presque anonymes, renforcent ce sentiment de désolation intérieure. Denis, en collaboration avec Agnès Godard, crée une atmosphère où les non-dits prennent le dessus sur les dialogues. La lumière naturelle, souvent tamisée, sculpte les visages, rendant visible une tension sous-jacente entre les personnages. Denis confie que sa caméra « cherche toujours à capter ce qui échappe aux mots », une manière de filmer qui fait écho à l’écriture sensorielle de ses récits.



Transgression et tabous


Claire Denis n’a jamais eu peur d’aborder des sujets considérés comme tabous, que ce soit la violence, le désir ou la transgression des normes sociales. Dans Trouble Every Day, elle explore le cannibalisme comme une métaphore du désir incontrôlable, où les pulsions sexuelles dévorent littéralement les corps. Ce film est une plongée dans les zones d’ombre de la psyché humaine, où l’amour et la mort sont indissociables. « Les amoureux ne ressentent pas le tabou », dit-elle. « C’est la société qui leur dit : vous n’êtes pas faits l’un pour l’autre. » Cette idée traverse son cinéma, où les personnages transgressent les normes, non par provocation, mais par une quête de vérité.


Claire Denis aborde les dynamiques de pouvoir avec une acuité singulière, non pas en les exposant de manière frontale, mais en les tissant subtilement dans l'étoffe narrative et visuelle de ses films. Son cinéma se distingue par une subtile exploration des rapports de domination, qu'elle décline à travers des des dynamiques interpersonnelles complexes, où le corps devient le lieu privilégié de l’expression des tensions. Dans S’en fout la mort (1990), elle met en scène un univers où les personnages, issus de milieux sociaux différents, se retrouvent liés par une forme de violence implicite qui ne s’exprime pas toujours par des actes physiques, mais se distille à travers des silences, des regards, des gestes. La violence n’est alors pas une fin en soi mais un moyen, une expression de la lutte des individus pour affirmer leur existence et leur place dans un monde qui leur est souvent hostile.

Le film explore les marges d'une société française où les hiérarchies sociales et raciales, bien qu'invisibles, structurent les rapports de force entre les personnages. Isaach de Bankolé et Alex Descas, dans leurs rôles respectifs, incarnent cette dualité, où le pouvoir s’exerce non seulement à travers le langage, mais surtout à travers les corps et les espaces qu'ils occupent ou traversent. Denis filme ces interactions avec une distance qui évite tout jugement moral explicite, instaurant un espace de flottement où le spectateur est invité à interroger ces dynamiques de domination sans qu’elles soient imposées comme des vérités univoques. Le combat de coqs, motif central du film, cristallise cette lutte silencieuse entre les hommes, où l'animalité et la brutalité deviennent des métaphores des rapports humains eux-mêmes marqués par la violence sociale et raciale.


Ce qui fait la force du cinéma de Claire Denis, c’est sa capacité à révéler la transgression des normes sociales non pas à travers des actions spectaculaires, mais par des détails apparemment anodins, qui peu à peu se chargent de significations nouvelles. Chez elle, la transgression n'est jamais une pure rupture, mais plutôt un glissement imperceptible qui met au jour les vérités cachées des personnages. Ces vérités sont toujours en tension avec les structures de domination qui les régissent, mais elles ne sont jamais clairement explicitées, laissant ainsi au spectateur la responsabilité d’interpréter ce qui se joue à l’écran.


En refusant les jugements moraux et les explications simplistes, Claire Denis ouvre un espace de réflexion critique, où la violence et la domination sont montrées dans leur complexité, sans être réduites à des dichotomies manichéennes. S’élabore ainsi un cinéma de l’ambiguïté, où les règles sociales sont continuellement transgressées, mais où ces transgressions ne sont ni glorifiées, ni condamnées. Cette approche invite à transcender la simple illustration des rapports de pouvoir pour atteindre une profondeur réflexive qui interroge la nature même des structures sociales et des normes qui régissent les relations humaines.



Une œuvre de résistance et de liberté


Claire Denis, incontestable figure du cinéma d’auteur contemporain, forge une œuvre à la radicalité formelle et à la densité thématique singulières. Elle arpente les marges — qu’elles soient géographiques ou intérieures — et déconstruit les récits conventionnels pour mieux en extraire les vérités enfouies sous la chair des corps et la mémoire des territoires. Chaque image, imprégnée d’une charge sensorielle et émotionnelle palpable, interroge les frontières du visible, transgresse les codes narratifs et fait résonner les voix de ceux que l’ordre social marginalise. « La lenteur n’est pas une posture, c’est une manière d’écouter le silence entre les mots », dit-elle. Loin de tout didactisme, la résistance chez Denis s’exprime avec lenteur, par l’allusion et l’évitement des clichés. Refusant les assignations réductrices, qu’elles soient de genre ou d’identité culturelle, elle invente des langages inédits pour traduire l’indicible. Film après film, la cinéaste poursuit une quête d’émancipation viscérale, à la fois pour ses personnages et pour son art, traçant une voie solitaire dans le cinéma contemporain, où l’errance devient un acte radical de liberté face aux carcans établis.


 

[TALK SHOW] MASTERCLASS CLAIRE DENIS

VENDREDI 27 SEPTEMBRE 2024

STUDIO KREMLIN • 19H30






en partenariat avec





Notre partenaire : LA KOLOK


Situé au cœur du village audiovisuel du Studio Kremlin, LA KOLOK est un espace de coworking et d'incubation dédié aux métiers de l'audiovisuel. Hébergement, workshops, évènements et incubation de projets sur 1 000 m2 d'open-spaces, de bureaux et de salles de réunion

Komentarze


Komentowanie zostało wyłączone.
bottom of page