[TALK SHOW] CONVERSATION AVEC ZAHIA
TALK SHOW • TRAJECTOIRES
VENDREDI 4 OCTOBRE 2024
STUDIO KREMLIN • 19H
Zahia Dehar : une trajectoire de transgression et d'émancipation
Vendredi 4 octobre prochain, Zahia Dehar sera l’invitée de Léolo Victor-Pujebet et Simon Courtois, à l'occasion de leur talk-show en partenariat avec LA KOLOK, organisé au Studio Kremlin. Un événement ouvert au public, dans la limite des places disponibles.
Née en 1992 à Ghriss, en Algérie, Dehar a su métamorphoser la notoriété éphémère et scandaleuse acquise lors de l’« affaire Zahia », en 2010, pour se hisser au rang d’icône transgressive de la culture populaire. Mannequin, créatrice de mode, actrice et désormais figure revendiquée du féminisme contemporain, elle est l’incarnation d’une trajectoire de réinvention sociale et artistique, où l’esthétique et le corps deviennent des terrains de résistance et d’émancipation. À travers ses collaborations avec des artistes comme Karl Lagerfeld, Pierre et Gilles, ou encore Rebecca Zlotowski, Dehar a redéfini son propre récit, faisant de son corps à la fois une arme et un manifeste.
L'exil, la rupture et la quête d'identité
Le parcours de Zahia Dehar commence bien avant le scandale qui l’a propulsée sous les projecteurs médiatiques. Née en pleine « décennie noire » algérienne, période marquée par la guerre civile et l’effondrement de l’ordre social, elle grandit dans une atmosphère de peur et d’incertitude. Son enfance est façonnée par l’omniprésence de la violence et de la menace, des réalités qui façonnent ses premiers rapports au monde. À l’âge de dix ans, Zahia et sa famille quittent l’Algérie pour s’installer en France, une migration qui s’accompagne d’un déracinement profond et d’une perte de repères. Ne parlant pas un mot de français à son arrivée, elle se retrouve rapidement marginalisée dans un système scolaire qui ne lui laisse que peu d’espace pour s’adapter. La promesse d’ascension sociale par l’école s’évapore rapidement, et avec elle, l’idée d’un destin tracé.
Dès lors, Zahia se distingue par une ambition qui dévie des chemins traditionnels de réussite. Adolescente, elle est marquée par une immersion précoce dans les milieux nocturnes parisiens, là où se déploient des rapports subtils et souvent brutaux de pouvoir et de désir. Dès seize ans, elle fait le choix délibéré de se prostituer, non pas sous le joug d'une nécessité oppressante, mais comme une manière d'affirmer sa liberté face aux contingences économiques et sociales qui tentent de l'enfermer. Loin de s'inscrire dans une dynamique de soumission, cette décision s'impose comme un acte radical d’émancipation. "J'avais conscience que cela me donnait du pouvoir", confiera-t-elle plus tard, jetant une lumière crue sur une démarche qui, pour elle, n'est rien de moins qu'un outil de contrôle sur son propre destin.
Dans un monde où l'on assigne souvent aux corps féminins un rôle d'objet passif, Zahia inverse les rôles avec une lucidité désarmante. Son corps, qu'elle a appris à maîtriser avec une précision quasi-stratégique, devient l'instrument par lequel elle conquiert son autonomie. Chaque geste, chaque apparence est calculé, non pour séduire dans le sens où l'entendrait la morale traditionnelle, mais pour affirmer sa domination dans un jeu social où les femmes, trop souvent, ne sont que des spectatrices. Ainsi. elle façonne une trajectoire singulière où l'image qu'elle projette au monde est le fruit d'une réappropriation radicale de son identité. Sa prostitution, loin d'être une marque de stigmatisation ou d'oppression, devient, sous son prisme, l'expression même de sa volonté de transcender les barrières qui l'entourent.
L'affaire de 2010 : le scandale comme catalyseur d'une nouvelle identité
L’année 2010 cristallise le moment où Zahia Dehar passe de l’obscurité des marges à la lumière crue des médias. L’affaire dite « Zahia » éclate lorsqu’une enquête de la brigade de répression du proxénétisme révèle que plusieurs footballeurs de l’équipe de France ont sollicité ses services alors qu’elle était mineure. Ce scandale, relayé avec frénésie par les médias, la désigne immédiatement comme coupable aux yeux de l’opinion publique, tandis que les hommes impliqués sont épargnés par la violence des jugements. Dès lors, elle devient un sujet de fascination pour une société qui instrumentalise son image, oscillant entre l’objectification et la condamnation morale.
Mais là où beaucoup auraient sombré sous le poids du stigmate, Zahia choisit d’utiliser ce scandale comme un levier pour se réapproprier son récit. En 2010, elle accorde une interview à Paris Match, dans laquelle elle refuse d’endosser le rôle de victime. Elle se présente comme une figure ambiguë, une escort girl qui ne se considère pas comme une prostituée, faisant ainsi écho à un désir de maîtriser la narration autour de son propre corps. Ce rejet des catégories imposées est le premier signe de la résistance intérieure qui la mènera à redéfinir sa place dans le champ public.
Une esthétique de la réinvention : de la courtisane à la muse
À partir de 2011, Zahia Dehar opère une transformation radicale de son image, passant du statut de paria à celui d’icône de la mode et de la culture populaire. Ses collaborations avec des artistes de renom, à commencer par Karl Lagerfeld, marquent le début d’une réinvention esthétique où elle devient l’incarnation d’une féminité hyperstylisée, inspirée des courtisanes du XVIIIe siècle et des figures iconiques de la culture française comme Marie-Antoinette. Le regard de Lagerfeld sur Zahia n’est pas anodin : en la photographiant dans des mises en scène baroques et en l’inscrivant dans une tradition visuelle qui célèbre la sensualité et le pouvoir, il contribue à légitimer sa place dans un milieu artistique élitiste. Zahia devient une muse, un corps glorifié par la haute couture, tout en gardant le contrôle de cette nouvelle image.
Son entrée dans le monde de la mode culmine avec le lancement de sa propre ligne de lingerie en 2012. Cette collection, présentée lors de la Semaine de la Mode à Paris, incarne une esthétique où la délicatesse et l’érotisme se conjuguent dans une vision de la féminité qui refuse les compromis. Mais au-delà de l'aspect commercial, cette collection témoigne de la volonté de Zahia de construire un empire personnel en dehors des récits qui lui ont été imposés. Elle joue avec les codes de la bourgeoisie tout en subvertissant l’idée même de pureté, portant son passé comme un étendard de résistance.
Du mannequinat au cinéma : incarner une résistance silencieuse
C’est au cinéma que Zahia Dehar révèle une autre facette de son émancipation artistique. En 2019, elle fait ses débuts d’actrice dans Une fille facile, film de Rebecca Zlotowski qui interroge les relations de pouvoir et de désir à travers le prisme de la féminité et du slut-shaming. Son personnage, Sofia, incarne une figure paradoxale : une femme libre et hédoniste, qui maîtrise les codes sociaux tout en refusant de se soumettre aux jugements moraux. Sa performance est saluée pour sa subtilité et sa capacité à incarner un personnage à la fois vulnérable et puissant. Cette dualité est au cœur de l’ambiguïté de son image publique, où la maîtrise de son corps se confond avec une quête d’autonomie.
Le film devient un terrain de résonance pour Zahia, qui voit dans son personnage un miroir de sa propre vie. « J’admire ces femmes qui se fichent de la morale », confie-t-elle à propos de son rôle. À travers ce personnage, Zahia explore les questions de classe, de sexualité et de liberté, des thèmes qui définissent son propre parcours. Une fille facile devient ainsi une forme de manifeste féministe qui déconstruit les clichés et renverse les attentes. Zahia y incarne une liberté qui se joue des normes sociales, une liberté silencieuse mais implacable.
Une vision radicale de la féminité : réappropriation et empowerment
Loin de s’inscrire dans un féminisme traditionnel, Zahia Dehar incarne une forme de militantisme radical qui place la liberté individuelle au cœur de son discours. Pour elle, la réappropriation du corps est un acte politique. « Pourquoi avoir peur du mot pute ? » lance-t-elle, revendiquant ainsi une rupture totale avec les injonctions morales qui pèsent sur les femmes. Ce féminisme iconoclaste, qui fait écho aux théories de la réappropriation du stigmate, est aussi un acte de survie dans une société qui continue de juger les femmes en fonction de leur sexualité.
Zahia s’attaque ainsi aux préjugés les plus ancrés, notamment en dénonçant le slut-shaming et la putophobie, qu’elle considère comme les dernières formes de discrimination profondément enracinées dans nos sociétés. « C’est à nous, en tant que femmes, de dire : ça suffit. » En refusant de se soumettre aux étiquettes, Zahia redéfinit la manière dont les femmes peuvent se libérer du carcan moral qui les accule. Elle ne quête aucune approbation extérieure, mais au contraire, revendique farouchement son indépendance et affirme avec audace sa singularité.
[TALK SHOW] CONVERSATION AVEC ZAHIA
VENDREDI 4 OCTOBRE 2024
STUDIO KREMLIN • 19H
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