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Schneider, de Quiberon au Majestic

« J’aimais en général tous les rôles qui étaient les plus horribles. […] Parce que ces rôles ne me concernaient pas, parce que ce n’était pas moi, parce que je n’avais pas besoin d’être aimable. »

Romy Schneider à Michael Jürgs, pour Stern, 1981.


Sans filtre, Romy Schneider s’exprimait en 1981 à l’ensemble du peuple allemand, à travers le magazine Stern, en répondant aux questions de Michael Jürgs, journaliste ambigu et ferme qui souhaitait incarner à lui seul l’accusation, la défense et la sentence. A l’image de toute l’Allemagne, combinée à l’Autriche natale de l’actrice exilée en France, Jürgs se montre à la fois passionné et sceptique, en proie aux jugements les plus sinistres et finalement, soucieux et alarmé par l’état de celle qui fut la petite sœur de tout un peuple.


Mais entre Romy Schneider et l’Allemagne, entre l’actrice et la presse, les relations sont déplorables et au comble de leurs effets néfastes, pourtant infondés et injustifiables. « Je veux avoir la paix. Je hais le tapage et la publicité, tout ce show-business. Et je ne suis pas leur Sissi à laquelle ils peuvent se câliner. » Confiait-elle à l’occasion de cet entretien houleux.


La rencontre entre l’actrice et Michael Jürgs est révélatrice d’une situation conflictuelle, intense et presque familiale ; quand il n’y a plus qu’un pas entre l’amour et la haine. Rejeté par un pays dans lequel Romy Schneider ne se sent plus chez elle, la femme de 42 ans pense néanmoins nécessaire de se justifier auprès de celles et ceux qui la blâment sans jamais s’en épuiser. De leurs côtés, les allemands rejettent en bloc ses positions, son caractère et ses choix artistiques, tout en conservant cette puissante fascination qui les amène à vouloir comprendre (et éventuellement pardonner) la plus grande célébrité européenne de son époque.


Cette histoire fascinante prend lieu et place à Quiberon, en Bretagne, où Romy Schneider est isolée pour quelques jours de cure afin de lutter contre ses excès et son alcoolisme. Si l’actrice accepte de recevoir le journaliste, c’est également par sympathie pour le photographe Robert Lebeck, venu quant à lui saisir l’instant de ses nombreux clichés, entrés depuis dans l’histoire.




3 jours à Quiberon de Emily Atef retrace cette rencontre et nous offre d’entrer dans l’intimité de cet état suspendu, joliment détaché du temps et de l’espace. Le film, présenté en compétition à la Berlinale, se montre maitrisé sur ce point. Gracieux et séduisant, tant dans sa mise en lumière que dans son écriture accomplie, le film se présente comme une expérience intime et éprouvante. Emily Atef tente de saisir toute la complexité des liens qui unissent ses personnages et toute la détresse d’une femme. Un exercice dans lequel la réalisatrice trouve son confort et de quoi étendre de son talent, et ce depuis ses premiers films.



« La chose qui m’a tout de suite frappé, c’est que ces photos de Robert Lebeck, ce ne sont pas du tout les photos d’un mythe, d’une grande actrice impressionnante, mais les portraits sans filtre d’une femme à nu, sans maquillage, absolument pure dans sa détresse. Ça a fortement raisonné avec mon cinéma. Tous mes films, d’une certaine façon, parle de ça. Une femme, quel que soit son âge, qui traverse une crise existentielle, prise entre ses démons intérieurs et son envie de vivre. »



Dans sa direction, son regard et l’écriture du scénario, Emily Atef met en place un intriguant jeu de mise en abyme, grand huis-clos à l’intérieur duquel se dissimulent d’autres théâtres d’isolement, de rencontres et de confrontations, telles les poupées russes. Il y a le centre de cure, austère et étrangement sinistre, décor moribond et dépouillé, à l’intérieur duquel nous trouverons deux séances d’interviews qui constituent le cœur battant du film. Ces séquences se distinguent et se détachent du reste de l’histoire, comme la naissance d’une autre temporalité, d’une autre dimension et d’une autre intrigue. Telle une fiction ; se faisant à la fois refuge et piège. Ces scènes sont intenses et constituent le point fort du film d’Emily Atef. Elles nous exposent avec minutie et gravité toute la manipulation journalistique et les maux, à chaque minute plus violents, qui assaillent une Romy Schneider construite ici dans l’essence de quelques vérités douloureuses.


« J’ai lu l’interview, raconte Emily Atef. Il faut savoir que Romy donnait très peu d’interviews aux journalistes allemands, ils n’avaient jamais pardonné à leur impératrice adorée d’être partie en France et la traitaient très durement. Là, j’ai été saisie par la crudité, la vérité de l’interview. »


Et d’accorder un soin tout particulier à la mise en scène de cette interview moribonde. Atef y dirige des situations déroutantes, incommodes et étouffantes. Elle parvient à nous enfermer dans cet espace fait de noirceur, dans le cœur d’une femme assaillit par la souffrance et totalement privée d’un air pur qui ne parvient pas à entrer dans les poumons du personnage et des spectateurs, malgré l’omniprésence de la mer. « Contrairement aux autres grandes actrices de sa génération, elle n’avait pas d’espace personnel, intime, cet espace vital dont on a tous besoin. »