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MASTERCLASS GUSTAVE KERVERN

 

MASTERCLASS • CINÉMA

SAMEDI 30 NOVEMBRE 2024

STUDIO KREMLIN • 16H

 

Samedi 30 novembre, Gustave Kervern sera l’invité de Léolo Victor-Pujebet et Simon Courtois, à l'occasion d’une masterclass en partenariat avec LA KOLOK, organisée au Studio Kremlin.


Cette conversation explorera les origines du parcours cinématographique de Gustave Kervern, les rencontres marquantes qui ont jalonné sa trajectoire, les prémices de sa collaboration avec Benoît Delépine, ainsi que son approche singulière de l’écriture, de la réalisation en duo et de la direction d’acteurs.






Gustave Kervern : fractures collectives


Certaines œuvres interrogent le visible, d’autres captent ce qui lui échappe. Gustave Kervern appartient à ces cinéastes qui scrutent les interstices, ces espaces liminaux où la société, en se délestant de ce qu’elle ne sait intégrer, laisse affleurer une vérité plus composite. Depuis son premier film, Aaltra (2004), co-réalisé avec Benoît Delépine, Kervern s’attache à révéler les fragments d’un monde en perpétuelle désintégration. Non pour pleurer ce qui disparaît, mais pour y déceler les germes d’une réinvention, parfois absurde, souvent poétique.


Cette inclination pour les "fissures" n’est pas née du cinéma mais s’est forgée au fil d’un parcours hétéroclite. Gustave Kervern a longtemps été une figure incontournable de Groland, l’émission satirique de Canal+ qui, avec ses sketches absurdes et son humour corrosif, a marqué plusieurs générations. Auteur et acteur aux côtés de Benoît Delépine, il a affiné un regard caustique sur les absurdités du pouvoir, les travers de la modernité et les contradictions sociales. Cette expérience, plus qu’une simple école de comédie, a profondément influencé sa vision du cinéma : un art capable de révéler l’absurde dans le quotidien et de porter un regard tendre mais lucide sur les êtres et les structures qui les entourent.


Les décentrés, figures d’un monde fragmenté


Les protagonistes de Kervern ne sont pas marginalisés ; ils incarnent des lignes de fuite. Ce sont des existences en décalage, des trajectoires qui dévient imperceptiblement mais irrémédiablement des normes attendues. Dans Louise-Michel (2008), Louise, incarnée par Yolande Moreau, n’était pas seulement une ouvrière frappée par une délocalisation, mais une force brute, une présence massive qui, face à la violence impersonnelle de l’économie globale, réagissait avec une logique aussi absurde que radicale. L’idée de tuer un patron pour venger un licenciement collectif pourrait n’être qu’un gag noir ; elle devenait ici un geste éminemment politique, une manière de réintroduire du sens dans un système qui s’évertue à l’éliminer.


Cette logique d’étrangeté trouvait ses prémisses dans Avida (2006), film à la croisée des chemins entre expérimentation surréaliste et satire sociale. Cette histoire d’un trio kidnappeur d’un chien obèse appartenant à une riche héritière offrait une critique mordante des élites et des excès de l’avidité. Avec son esthétique dépouillée et son usage minimaliste du dialogue, Avida s’éloignait du cadre réaliste des autres films pour plonger dans une abstraction presque métaphysique. Interrogeant ainsi l’influence du surréalisme sur Kervern et Delépine tout en évoquant les fables absurdes de Buñuel, en révélant un regard qui, même dans l’excès, conservait une forme de tendresse envers ses personnages.


Mammuth (2010)

Ces trajectoires "décentrées" sont particulièrement visibles dans Mammuth (2010), où Gérard Depardieu arpente les routes sur une moto vintage pour récupérer des papiers administratifs nécessaires à sa retraite. Mais ce voyage devient une errance existentielle : en traversant des lieux abandonnés et en croisant des figures quasi spectrales, le personnage redécouvre une intimité avec le monde qu’il semblait avoir perdue. Ce déplacement révèle une chose essentielle dans l’œuvre de Kervern : le mouvement moins comme moyen de progression, qu’une manière d’habiter le temps autrement.


Cette exploration du temps atteint son point culminant avec Near Death Experience (2014). Ce film dépouillé suit Michel Houellebecq, errant dans une montagne lors d’un week-end où il envisage sa propre fin. Abandonnant presque entièrement l’humour, ce récit offre une méditation existentielle rare, où l’idée de la mort devient un miroir pour examiner les banalités et les absurdités du quotidien.


Near Death Experience (2014)

L’absurde comme grammaire : une esthétique du décalage


L’absurde, chez Kervern, n’est pas une rupture avec le réel, mais un langage qui le traduit. Là où d’autres choisissent la dénonciation frontale, lui privilégie les glissements subtils, les décalages imperceptibles mais révélateurs. Dans Effacer l’historique (2020), trois individus – incarnés par Blanche Gardin, Denis Podalydès et Corinne Masiero – se débattent contre les dérives du numérique. Ils ne cherchent plus à renverser le système mais à y survivre, maladroitement. Cette lutte, aussi dérisoire qu’héroïque, devient une manière de réintroduire une humanité dans des circuits qui tentent de la réduire à néant.


Avec En même temps (2022), Kervern et Delépine se confrontent directement au monde politique contemporain. Deux maires antagonistes, piégés par des activistes féministes, doivent collaborer physiquement après avoir été collés ensemble par un geste symbolique. Cette situation grotesque fait office de parabole des tensions idéologiques modernes : divisions irréconciliables, impossibilité du dialogue, et pourtant nécessité d’un rapprochement forcé pour envisager un avenir commun. Si la satire semble légère, elle interroge profondément : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour dépasser les clivages qui minent nos sociétés ?


En même temps (2022)

Utopies fragmentées : une exploration des solidarités improbables


Dans l’univers de Gustave Kervern, les collectifs ne sont jamais grandioses. Ils sont petits, imparfaits, mais réels. Dans I Feel Good (2018), la communauté Emmaüs devient un espace de solidarité concrète, où des individus réinventent leurs vies hors des logiques dominantes. Jean Dujardin, avec son obsession pour la richesse facile, incarne l’antithèse de cet univers, mais son intrusion révèle paradoxalement la robustesse fragile de ces solidarités.


De même, Saint Amour (2016) explore les relations père-fils à travers un road-movie viticole. Le voyage initiatique, prétexte narratif, devient une méditation sur les liens familiaux et la possibilité d’une réconciliation dans un monde éclaté. Ici encore, l’utopie n’est pas idéalisée : elle est traversée par des tensions et des échecs, mais c’est précisément dans ces failles qu’elle trouve sa vérité.



Saint-Amour (2016)

Gustave Kervern à l’écran


Si Gustave Kervern est largement célébré pour son travail de cinéaste, son rôle d’acteur mérite une attention tout aussi soutenue. Dès Aaltra (2004), son premier film co-réalisé avec Benoît Delépine, il se met en scène aux côtés de son complice, inaugurant ainsi une posture à l’écran qui deviendra une marque de fabrique. À l’écran, il ne cherche ni à s’effacer ni à s’imposer : il occupe une place singulière, à la fois discrète et essentielle, où son corps et sa voix incarnent une tension subtile entre la maladresse apparente et une profondeur inattendue. Kervern ne joue pas des personnages héroïques, ni même des figures parfaitement identifiables. Ses interprétations relèvent d’une présence qui défie les attentes spectatorielles : il capte, par son économie de gestes et ses silences prolongés, un mélange d’absurde et de gravité qui désoriente tout en captivant.


Ce décalage s’inscrit dans une tradition du jeu qui fait écho à des figures comme Pierre Étaix ou Jacques Tati, où la maladresse est érigée en langage. Pourtant, Kervern ne s’inscrit pas dans une veine burlesque : il incarne des personnages qui semblent porter le poids d’un monde fracturé, mais sans jamais céder à la caricature ni au pathos. Dans Le Grand Soir (2012), son rôle secondaire de vendeur insatisfait dans une zone commerciale, bien qu’en retrait, agit comme un miroir discret des protagonistes principaux. Il n’a pas besoin de longs monologues ou de gestes expansifs : sa manière d’être dans l’espace, presque hors du temps, suffit à suggérer une désillusion partagée.


Aaltra (2004)

Un visage habité par l’absurde


Le visage de Kervern attire par sa retenue : ses traits, marqués mais immobiles, semblent porter une part d’ombre, laissant deviner des histoires enfouies sans jamais les dévoiler complètement. Cette ambiguïté lui permet d’incarner des personnages qui naviguent entre plusieurs registres émotionnels, souvent dans un même plan. Dans Saint Amour (2016), où il interprète un homme au bord de l’ébriété, il joue sur des nuances imperceptibles, oscillant entre la farce et une mélancolie latente. Son jeu repose sur l’absence de démonstration, privilégiant la suggestion. Ce minimalisme apparent n’est jamais un refus de l’intensité : il laisse les tensions affleurer sous la surface, comme un courant invisible.


Cette qualité unique de Kervern acteur réside également dans sa capacité à habiter des personnages ordinaires sans jamais les banaliser. Dans Effacer l’historique (2020), il joue un chauffeur de VTC désabusé, un homme qui se contente d’observer, presque avec détachement, les absurdités qui se déroulent autour de lui. Sa posture, légèrement en retrait, contraste avec le chaos des situations, mais c’est précisément ce décalage qui produit une dissonance saisissante : il devient le point d’ancrage d’un monde en dérive, un repère aussi instable que nécessaire.


L’anti-héroïsme comme signature


Kervern ne joue pas des héros, ni même des anti-héros au sens classique du terme. Il incarne plutôt des figures d’anti-héroïsme, des personnages qui refusent l’action spectaculaire, l’épanchement émotionnel ou la rédemption dramatique. Ce refus ne traduit pas une absence : il s’agit d’une manière de se positionner face à l’écran et, plus largement, face au récit. Dans Near Death Experience (2014), où il fait une brève apparition face à Michel Houellebecq, sa présence souligne la solitude existentielle du protagoniste. Il n’interagit pas pour guider ou soutenir, mais pour offrir une friction discrète, un contrepoint qui enrichit la scène par sa simple existence.


Dans ses propres films, Kervern apparaît donc comme un élément du décor social qu’il observe : l’ouvrier agricole d’Aaltra (2004), le capitaine du bateau dans Louise-Michel (2008) ou encore le boucher dans Mammuth (2010). Ces personnages, souvent fugaces, traduisent une proximité avec les trajectoires qu’il met en scène : des figures maladroites, brisées mais toujours vivantes. Mais c’est en collaborant avec d’autres cinéastes qu’il donne à voir l’étendue de son talent.


Dans Asphalte (2015) de Samuel Benchetrit, il campe Sterkowitz, un ancien carrossier confiné dans un immeuble délabré. Ce rôle illustre sa capacité à jouer des personnages au bord de la société, sans jamais les caricaturer. On le retrouve également chez Pierre Salvadori dans Dans la cour (2014), où il incarne Antoine, un personnage fragile et touchant qui complète le portrait mélancolique et absurde du film.


Kervern brille aussi dans des comédies où il apporte sa patte singulière. Dans Cigarettes et Chocolat chaud (2016) de Sophie Reine, il joue Denis Patar, un père dépassé mais aimant. Dans Cette musique ne joue pour personne (2021) de Samuel Benchetrit, il incarne Jacky, une figure à la fois burlesque et touchante, fidèle à l’univers poétique de son réalisateur.


Enfin, ses collaborations avec des cinéastes aussi différents qu’Emmanuelle Bercot (La Fille de Brest, 2016), Pascal Rabaté (Ni à vendre ni à louer, 2011 ; Les Sans-dents, 2020), Olivier Babinet (Poissonsexe, 2020) ou encore Stéphanie Di Giusto (Rosalie, 2023) révèlent un désir de s’inscrire dans des récits aux tonalités variées. À travers ces rôles, Kervern interroge, par sa simple présence, les limites et tensions de la normalité, incarnant des figures en équilibre précaire entre l’absurde et l’émotion brute. En prêtant son visage et sa gestuelle à des récits souvent traversés par les thèmes qu’il explore derrière la caméra, il brouille la frontière entre créateur et interprète, insérant son propre corps dans un dialogue subtil avec les univers qu’il contribue à déconstruire et reconstruire.


Louise-Michel (2008)

Rire et tenir debout


L’œuvre de Gustave Kervern et Benoît Delépine ne cherche pas à imposer un discours ou à produire des manifestes. Elle procède autrement, en interrogeant les failles et les espaces vacants. Chaque film agit comme une tentative de réinventer le monde à partir de ses fragments, ses écarts, ses zones d’ombre. 


L’humour, omniprésent dans leur filmographie, agit comme un révélateur. Il ne neutralise pas les tensions, il les exacerbe, les expose. Ce rire n’est jamais moqueur : il rassemble, il désarme, il réinvente. Dans En même temps, les deux maires contraints de coexister physiquement incarnent cette idée d’une réconciliation improbable, non comme un horizon idyllique, mais comme une nécessité brutale. Dans Effacer l’historique, les personnages, en lutte avec des géants numériques hors de portée, inventent une résistance minuscule, presque dérisoire. Ces récits, empreints de grotesque, rappellent que le collectif ne naît pas de la perfection, mais de l’acceptation des déséquilibres, des tensions. Ce cinéma ne propose pas un monde rêvé ; il explore la possibilité de vivre autrement dans celui qui s’effrite. À travers leurs personnages et leurs récits, Kervern et Delépine esquissent une proposition : ralentir, observer, et réapprendre à faire monde ensemble, même dans l’inachèvement. Ce qui traverse leurs films, ce n’est pas la nostalgie d’un passé intact ni l’illusion d’un futur réconcilié, mais une foi inébranlable dans les possibles encore ouverts au cœur des ruines.


 

Cette masterclass, animée par Léolo Victor-Pujebet et Simon Courtois, explorera les origines du parcours cinématographique de Gustave Kervern, les rencontres marquantes qui ont jalonné sa trajectoire, les prémices de sa collaboration avec Benoît Delépine, ainsi que son approche singulière de l’écriture, de la réalisation en duo et de la direction d’acteurs.


 

MASTERCLASS GUSTAVE KERVERN

SAMEDI 20 NOVEMBRE 2024

STUDIO KREMLIN • 16H






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