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Masterclass - Agnès Varda - VF

Le mercredi 6 avril 2011 à 19h, Pascal Mérigeau recevait Agnès Varda au Forum des Images. Elle qui pour commencer fut une grande photographe a exploré toutes les variantes des images qui bougent, toutes les possibilités par elles offertes, et toutes les fantaisies. Et comme à ses yeux, sans doute, ce n’était pas encore assez, elle a inventé des formes qui n’appartiennent qu’à elle, qui font que ses films ne ressemblent à aucun autre, comme composés d’une infinité de miroirs tendus à des spectateurs qui ne peuvent que s’y reconnaître. Son histoire, telle qu’elle la raconte par exemple dans Les Plages d’Agnès, est celle d’une enfant de la Belgique qui en temps de guerre échoua sur une rive de la Méditerranée avec ses parents, son frère.



Le cinéma, alors, comme souvent avec elle, sert à faire revenir les morts, à confronter les êtres aux enfants qu’ils étaient jadis et à traquer leurs ressemblances avec les gamins de maintenant. Chez Agnès Varda, le passé se mêle au présent, l’ici et l’ailleurs se marient, en viennent à se confondre, Jacques Demy rencontre Jim Morrison, le Cuba de la révolution déboule rue Daguerre, entraînant avec lui l’Amérique en guerre au Vietnam, le sable file entre les doigts, les ombres qui glissent dans les rues, sur les marchés, deviennent des glaneurs et des glaneuses, une jolie fille qui n’a pas encore dix-huit ans se fait vagabonde, cheveux raides de crasse et ongles en deuil, elle se nomme Mona et aussi Sandrine Bonnaire, le film s’appelle Sans toit ni loi. Tout n’y est que sensation, le gel, la peur, les sardines qu’on mange avec les doigts, pierres qui roulent sur le chemin, bruissement des feuilles dans le vent, c’est du documentaire et aussi de la fiction, les deux en même temps, l’un contre l’autre se frottent et ensemble ils se nourrissent, voilà c’est le cinéma, le cinéma d’Agnès Varda.


Rien de cela ne se peut expliquer vraiment, une part de mystère demeure, et c’est très bien ainsi, mais ce mystère aussi, elle entend l’offrir en partage, en donnant à voir, à entendre, à ressentir, à éprouver, et encore en en parlant, en se souvenant, il s’agit bien toujours d’échange. Alors, en sa compagnie, avec elle, refaire le voyage, les voyages plutôt, des plages de Belgique à celles de Californie, de Jacquot de Nantes à la Mona qui meurt de froid, de Sète à Noirmoutier, de ceux qu’elle a connus à ceux qu’elle a imaginés, mais en vérité les uns se distinguent peu des autres, d’aujourd’hui à hier, de là-bas à ici.

Née Arlette, parce qu'elle a été conçue en Arles, Agnès Varda grandit rue de l'Aurore, à Bruxelles, avec son père grec, sa mère et ses quatre frères et soeurs. Elle quitte en 1940 la Belgique bombardée pour rejoindre Sète, où elle passe son adolescence, avant de monter à la capitale. Elève de Bachelard à la Sorbonne, étudiante à l'Ecole du Louvre, elle obtient un CAP de photographie, sa première passion.


En 1949, Agnès Varda rejoint en Avignon le Sétois Jean Vilar, qui créa deux ans plus tôt le célèbre Festival de théâtre. Se faisant connaître grâce à ses clichés de Gérard Philipe ou Maria Casarès, elle choisit deux acteurs du TNP, Silvia Monfort et Philippe Noiret (débutant au cinéma) pour son premier long métrage, La Pointe courte, monté par le jeune Resnais. Ce coup d'essai, qui mêle avec peu de moyens chronique réaliste et étude psychologique, annonce, en 1954, les audaces de la Nouvelle vague. Le succès public suivra en 1961 avec Cléo de 5 à 7, promenade dans Paris en compagnie d'une chanteuse qui attend des résultats médicaux, tandis que Le Bonheur décrochera le Delluc en 1965.


Dès ses débuts, Varda passe du court au long métrage, du documentaire à la fiction, signant un film de commande sur les châteaux de la Loire en 1957 puis un récit onirique avec Catherine Deneuve (Les Créatures). En 1967, elle accompagne aux Etats-Unis son mari Jacques Demy, qu'elle rencontra au Festival de Tours en 1958. Tombée amoureuse de Los Angeles, où elle fréquente Andy Warhol et Jim Morrison, elle y tournera notamment une fiction hippie (Lions love) et un docu sur les peintures murales. Elle peut aussi partir à la rencontre de ses voisins de quartier (Daguerréotypes en 1978), s'inspirer d'une photo (Ulysse) ou prendre pour modèle Jane Birkin, à l'occasion d'un de ces films-gigognes dont elle a le secret (Jane B. par Agnès V./Kung-Fu Master).


Adepte du coq-à-l'âne, du collage et du calembour, Agnès Varda sait aussi se faire le témoin de son époque, évoquant les luttes féministes dans L'Une chante, l'autre pas ou la condition de ceux qu'on ne nomme pas encore SDF dans Sans toit ni loi : au terme d'un tournage éprouvant pour la toute jeune Sandrine Bonnaire, le film remporte le Lion d'or à Venise et un beau succès en salles en 1985. Plus tard, avec Les Glaneurs et la glaneuse, tourné en DV, la cinéaste pointera, à sa manière, les excès de la société de consommation.


Avec son talent de conteuse, son insatiable curiosité et son éternelle coupe au bol, Varda a su se faire, au fil des ans, une place à part dans le cinéma français, au point de se voir confier le redoutable honneur de tourner le film-hommage au 7e art centenaire (Les Cent et une nuits). Sur un mode plus intime, elle consacre 3 films précis et précieux (dont Jacquot de Nantes en 1991) au défunt Jacques Demy. Auréolée d'un César d'honneur pour l'ensemble de sa carrière en 2001, elle s'essaie ensuite à l'art contemporain à travers expositions et installations. Elle qui a passé sa vie à raconter la vie des autres réalise en 2008 un émouvant autoportrait, Les Plages d'Agnès, chaleureusement accueilli à Venise.

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