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ALEXIS PAZOUMIAN TERRITOIRE(S)


Inspirées du cinéma, instinctives et rares, les photographies d'Alexis Pazoumian questionnent l'identité et l'appartenance au territoire. Ses projets sont toujours réalisés lors d'immersions à longs termes dans le quotidien des communautés qu'il documente. Après "Faubourg Treme", un premier travail sur les quartiers berceaux du jazz en Nouvelle-Orléans, Pazoumian, guidé par son histoire personnelle, se rend en Sibérie où il rencontre Sacha, éleveur de rennes, au milieu de la Taïga. 



© ALEXIS PAZOUMIAN


Comment en êtes-vous venu à la photographie ?


J’ai commencé par des études de graphisme. Durant mon programme, j’ai effectué un échange à Rio de Janeiro pendant 8 mois. J’ai vécu dans une Favela. C’est ici que j’ai pu réaliser ma première série documentaire ainsi qu’un documentaire vidéo. 


Depuis, j’ai parcouru de nombreux pays toujours en cherchant à comprendre le mode de vie de nouvelles communautés. Mon travail est essentiellement centré sur l’humain. Mon objectif est de parler des minorités qui ont tendance à souffrir de leur image, elles sont souvent mises à l’écart de la société,  et souffrent de l’impact de ce rejet. 


En m’intéressant à leur quotidien, leurs traditions, j’essaye d’être le plus sincère possible et je tente de comprendre leur fonctionnement. J’ai donc commencé par les favelas du Brésil, elles sont le parfait exemple de communautés extraordinaires qui s’auto-suffisent mais qui sont totalement mises à l’écart de la société.



Tous vos travaux concernent le thème de l’identité, de l’attachement au territoire... 


Effectivement ce sont mes thèmes de prédilection. Étant d’origine arménienne, toute mon enfance, j’ai entendu mes grand-parents me parler du génocide arménien. Leurs parents avaient dû fuir « l’ancienne Arménie », leur pays, auquel ils étaient attachés, et tout recommencer, repartir de zéro, sans argent, sans parler la langue.


Aujourd’hui j’ai la chance d’avoir une double culture qui m’apporte énormément de richesse. Je pense que mon histoire fait écho avec mes sujets, j’ai besoin de parler des injustices mais aussi des communautés. Mon travail est orienté vers le documentaire social, il est centré sur les communautés vivant en marge de la société.



Votre travail « Faubourg Treme » a été plébiscité et a reçu un grand écho. Quel a été le parcours de ce projet, entre la naissance de l’idée, et la publication du livre ? Quel a été votre lien avec les personnes photographiées ? 


Ce qui m’a donné envie de découvrir La Nouvelle-Orléans, c’est avant tout parce que je suis amateur de Jazz et je suivais régulièrement des musiciens de la Nouvelle-Orléans. 


Au départ, je me suis rendu là-bas sans aucun contact, et très peu de préparation. J’avais une brève idée du sujet que je voulais aborder mais il fallait être sur place pour me faire une idée précise de ce lieu. Je fonctionne plutôt sur l’instant et l’instinct et je reste généralement de longues périodes, justement pour prendre le temps de me faire des contacts, comprendre où je suis et étudier mon sujet. 


Durant mon séjour, un musicien m’a conseillé de regarder cette magnifique série « TREME » réalisée par David Simon (le réalisateur de "The Wire").  À chaque épisode, je reconnaissais des acteurs, des musiciens que j’avais croisé le jour même, la veille à un concert. C’était vraiment incroyable, et ça m’a permis de m’imprégner très rapidement du lieu. 


Le fait de découvrir le quartier dans lequel est né le Jazz était également impressionnant pour moi. C’est un lieu intemporel. La musique se ressent à chaque coin de rue, allant de l’église Gospel aux enfants jouant de la trompette sur le pas de la porte. Aux clubs de jazz et aux bars. La musique est partout et s’est insérée dans tous les aspects de la vie, elle s’est mélangée aux multiples cultures locales.


Puis, de retour à Paris, j’ai pris contact avec André Frère, un éditeur basé à Marseille dont j’appréciais particulièrement le travail. Nous avons travaillé ensemble à l’élaboration de la maquette. Le livre est sorti en Novembre 2017, et a été distribué en France, aux US et en Angleterre. Effectivement il a été très bien reçu par la presse et j’en suis très heureux !


Je connais personnellement chaque personnage de mon livre, je ne fais jamais de photo volée, c’est important pour moi de discuter, échanger, apprendre et ensuite de photographier. J’imagine que pour capter une certaine authenticité, c’est important de prendre le temps de parler de son travail.



© ALEXIS PAZOUMIAN

Les images ont un aspect très cinématographique, correspondant à une vision presque fantasmée de la Nouvelle-Orléans. Est-ce volontaire ? Comment avez-vous réfléchi l’aspect esthétique de ce projet ?


Effectivement je pense avoir été été inspiré par de nombreux films. Je suis un vrai cinéphile, et en parallèle de la photographie, je suis aussi réalisateur depuis plusieurs années. Les films de Wim Wenders ("Paris Texas") ainsi que les premiers films de Scorsese ("The king of comedy", "New-York New-York", "Raging bull", "Taxi driver"), Paul Thomas Anderson, Copolla, Hitchcock m’inspirent énormément dans mon travail de photographe. Pour ce projet j’ai surtout réfléchi à une cohérence esthétique globale. 



Après « Faubourg Treme », vous commencez à travailler en Sibérie. Dans la ville de Yakutsk dans un premier temps, puis dans la Taïga. Qu’est-ce qui vous a mené là-bas ? 


Ces images et le texte qui les accompagne sont le résultat d’un projet réalisé entre 2017 et 2019, à l’Est de la Sibérie. Le livre "Sacha" retrace mon parcours  depuis Yakutsk et la tristement célèbre route des goulags, jusqu’à l’homme, Sacha, un éleveur de rennes épris de liberté vivant seul au milieu de la Taïga.


Si la Russie m’a depuis toujours attiré, c’est sans doute à cause de mon histoire familiale. Mon grand-père, Richard Jeranian, était peintre, et il fut l’un des premiers artistes de sa génération à se rendre à Moscou en 1957, avant d’exposer en 1980 à Novossibirsk, en Sibérie. Les récits de ses voyages dans ce pays aussi lointain qu’étrange ont accompagnés mon enfance, et ont excité en moi l'envie de le découvrir. 


Dans les années 2000, une branche éloignée de ma famille a émigré vers la Sibérie pour fuir la misère en Arménie. C’est à Yakutsk qu’ils ont élu domicile, comme de nombreuses minorités telles que les Kirghizes ou les Ouzbek, car la Yakoutie est une région très riche. Les sous-sols regorgent d'or, de pétrole et de charbon, et c’est aussi la première productrice de diamants dans le monde.


Apprenant que j’avais là-bas une famille, mon choix s’est naturellement porté sur Yakutsk. Le climat y est hostile : c’est l’un des endroits habités les plus froids de la planète, où les températures hivernales atteignent -60°C. 



© ALEXIS PAZOUMIAN

Comment avez-vous préparé le travail sur Sacha, cet éleveur de rennes qui vit dans la Taiga ? Pouvez-vous nous parler de lui et des conditions dans lesquelles il travaille ? De sa quête d’indépendance et de liberté ? Un livre est prévu pour février ? 


J’ai veçu plus de 1 mois à Yakutsk à essayer de trouver un moyen  de quitter la ville pour me rendre dans une région où vivent des éleveurs de rennes. Les autorités empêchent les étrangers de s’aventurer seuls chez les communautés d’éleveurs de rennes car leur pauvreté manifeste donne une mauvaise image du pays. C’est une longue histoire que j’explique en détail dans mon livre dans le «Journal de bord» qui m’a amené à rencontrer Sacha et sa communauté.


Sacha est en quête d’une liberté qu’il conçoit comme une totale indépendance. Il élève son troupeau d’un millier de rennes.  Voilà son quotidien : prendre soin de ses bêtes. Mais sa passion est aussi une contrainte. C’est sa vie. Les journées de Sacha sont difficiles, rudes, sauvages, solitaires. 


L’augmentation de la température (4 ° C les quarante dernières années) a des conséquences dramatiques sur la vie des autochtones et celle de leurs animaux. Les éleveurs nomades ignorent tout de ces chiffres mais sont les premiers à observer ces changements environnementaux.  


Sacha a acquis un savoir de longue date qui lui permet de vivre dans cet environnement hostile aux hommes mais qu’il a su, lui, apprivoiser. Il mesure aussi son impuissance face à la lente et inexorable transformation opérée par le dérèglement climatique.


À vrai dire, la plupart des tribus nomades ont vu leur population diminuer en raison de l’isolement et de l’instabilité du climat, qui rendent les conditions de travail de plus en plus difficiles. De nombreux éleveurs préfèrent aller à Yakutsk, car là-bas, leurs efforts se paient honnêtement.


Le livre sortira en février 2020, s'en suivra une exposition personnelle à la Galerie Jaeckin à Paris, à partir du 20 février 2020. Le projet sera également présenté à Arles en Juillet 2020.



Sur votre site, vous êtes très économe en images. Est-ce parce que vous faites des editing très dur, ou parce que vous privilégiez la diffusion non digitale (livre etc.) ? Êtes-vous tout aussi économe lors de la prise de vue ?


Je privilégie le livre effectivement car j’aime travailler sur des projets à long terme et donc difficile à détailler sur un site internet. J’aime accompagné mes projets de textes, d’explications. Je préfère donc montrer seulement le meilleur de mon travail et surtout les projets les plus forts. Ceux sur lesquels je travaille depuis plusieurs année et qui je l’espère finiront imprimés dans un livre.


Comparé au numérique, oui je suis très économe. On ne peut pas concevoir la même approche en numérique et en argentique, surtout au moyen format. Chaque pellicules contient 10 prises. De manière général je pars avec maximum 100 pellicules pour un mois, ce qui est déjà énorme et très couteux.



© ALEXIS PAZOUMIAN

Vous travaillez en argentique et au moyen format. Pourquoi ce choix ? Est-ce lié à votre pratique de la photographie, lente, qui prend le temps ?


Je travaille sur des projets au long terme car j‘ai besoin de temps pour m’intégrer et comprendre mes sujets. Effectivement le moyen format correspond bien à mes intentions car c’est une démarche plus lente et moins spontanée que le numérique. 


J’utilise aussi le moyen format car c’est une magnifique contrainte. Le fait de travailler à la pellicule permet de me concentrer réellement à chacune de mes prises de vue et de prendre mon temps. De plus, le rendu des couleurs est unique. Et le format 6x7 convient parfaitement avec l’intention que je veux donner à mon travail.



Vous êtes également réalisateur...


Effectivement je suis un vrai cinéphile, en parallèle de la photographie je suis aussi réalisateur depuis plusieurs années et je prépare justement mon deuxième court métrage sur la communauté gitane à Perpignan soutenu par la région occitane et un documentaire sur Sacha.



Vous allez bientôt publier une série sur le Haut Karabagh. Pouvez-vous nous parler de l’histoire de cette région ses enjeux. Du travail que vous réalisez là- bas ? 


Le Haut–Karabagh est une région montagneuse grande comme un département Français qui a proclamé son indépendance en 1991 en se détachant de l‘Azerbaïdjan au prix d'une guerre sanglante entre Arméniens et Azéris. 


Cette guerre très meurtrière en fait un des conflits les plus destructeurs de l‘après URSS; Bien que le cessez-feu soit encore en vigueur, des combats meurtriers éclatent de manière régulière le long de la frontière. 

Depuis 2016 travaille dans cette région et j’aimerais présenter ce projet d’ici 2021.



© ALEXIS PAZOUMIAN

Auriez-vous un conseil à donner à un jeune photographe ? 


Je dirais qu’il faut diversifier ses compétences ! C’est un métier difficile et précaire mais l’objectif est de trouver un équilibre entre les projets personnels et les commandes. C’est un métier accessible à tous, il faut juste s’accrocher et être prêt à faire des sacrifices et investir beaucoup sur soi. J’ai aussi la chance d’être très bien entouré par ma compagne, mon cercle familiale et amical très solide ce qui m’a beaucoup aidé, j’en suis sûr. 


Aussi, il ne faut pas se laisser décourager par les réseaux sociaux qui je le trouve, peuvent très vite devenir néfaste à la productivité. J’ai déjà eu tendance à abandonner des projets au bout de long mois d’enquête lorsque j’apprends que ça a déjà été traité. Il ne faut pas se comparer. Il faut créer son propre chemin, chaque parcours, chaque sujet est unique. 


Entretien par Mathilde Azoze

et Hervé Bossy - Le 03.12.2019


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