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DIALOGUE AVEC EMMANUELLE DEVOS


 

DIALOGUE • CINÉMA

MARDI 26 MARS 2019

LES FAUVETTES

 

Dans le cadre de ses masterclass mensuelles au Gaumont les Fauvettes, Horschamp - Rencontres de Cinéma invite l'actrice Emmanuelle Devos le 26 mars à 20h pour une discussion rétrospective autour du film d'Arnaud Desplechin Comment je me suis disputé... (Ma vie sexuelle).

Emmanuelle Devos disait à Arnaud Desplechin, à propos de leur touchante amitié et de ses nombreuses apparitions dans ses films : "J'ai souvent la sensation d'avoir eu une deuxième vie, il y a ma vie normale (enfin, pas toujours) et ma vie dans tes films, ma vie de Laurence, de Claude, d'Esther, de Sylvia, de Nora, de Faunia. Ton cinéma est un pays où j'ai vécu par moments, où je t'ai rendu visite, où nous nous sommes rencontrés." Plus qu’une série de rôles disparates qui jalonnent sa vie, le cinéma d’Arnaud Desplechin est pour Emmanuelle une sorte de voyage initiatique, un pays qu’elle a arpenté et dans lequel elle s’est elle-même découverte, sous nos yeux.


Emmanuelle Devos quitte le lycée en classe de première pour intégrer les Cours Florent, où elle a pour professeur Francis Huster, qui lui offre son premier rôle à l'écran dans On a volé Charlie Spencer (1986). Cette époque d'apprentissage du jeu d'acteur est pour elle l'occasion de fréquenter les Ateliers de la Fémis, où elle rencontre Noémie Lvovsky et Arnaud Desplechin, alors amis et élèves dans la même promotion. Ces rencontres amicales lui ouvrent la porte du cinéma : auprès d’eux elle redécouvre les films classiques comme ceux de Bergman, et obtient des rôles dans leurs films, à commencer par Dis-moi oui, dis-moi non, le court-métrage de fin d’études de Noémie Lvovsky, puis La vie des morts, premier moyen-métrage d’Arnaud Desplechin.


- Jouer, dit-elle, engage le corps. C'est tout de même nos larmes, notre sang. Emmanuelle Devos tient pour essentielle cette participation physique totale et presque sacrificielle de l'acteur pour son rôle. Le cinéma montre les corps et celui qu’elle donne à voir est d’abord un corps embarrassé, un corps qui veut tout et n’ose rien, un corps maladroit, touchant de pudeur. La plupart de ses rôles offrent une image de la solitude féminine : dans La Vie des morts (1991), Emmanuelle Devos joue Laurence, la fiancée de Bob (Emmanuel Salinger), qui se retrouve au milieu d’un drame familial, dans l’ambiance d’une cousinade dont elle est évidemment exclue : elle est celle qui ne fait pas partie de la famille, qui n’en comprend pas les codes. Dans Comment je me suis disputé… (Ma vie sexuelle) (1996), elle est l'amoureuse trompée puis quittée de Paul Dédalus, qui déclame dans un café, les yeux larmoyants et la voix vibrante d’émotion, une lettre d’amour face caméra. Enfin dans Sur mes lèvres (2001) de Jacques Audiard, elle est une secrétaire méprisée par ses collègues, isolée socialement par sa surdité et sa timidité maladive.


Pour Comment je me suis disputé… (Ma vie sexuelle), Arnaud Desplechin expliquait lui avoir donné un rôle à la fois central et marginal : le personnage d’Esther nous est introduit comme un personnage qui n’existe que par procuration, elle semble n’aspirer à rien, elle est l’inculte et la laissée-pour-compte d’une tribu d’amis normaliens. Son manque de spontanéité nous amuse, sa candeur nous trouble : « Tu n’as qu’à me dire ce que je dois te dire et je le dis ! » dit-elle à Paul pour le retenir alors qu’il la quitte… Puis, Esther s’absente un long moment du film pour permettre le déploiement des autres personnages de ce film-fresque : Sylvia, (Marianne Denicourt), Bob (Thibault de Montalembert), Nathan (Emmanuel Salinger), Jean-Jacques (Denis Podalydes), Frédéric Rabier (Michel Vuillermoz),... Le film revient en sa fin, dans un ultime détour, sur le personnage d’Esther : par une sorte de retournement, Esther qui était jusqu’ici reléguée au rang de personnage secondaire, devient le personnage principal du film, celui dont la mélancolie nous touche, celui sur lequel le film s’achève. Ainsi, le rôle d’Emmanuelle Devos supplante celui de Mathieu Amalric et le film se trouve happé, emporté par un personnage qu’il plaçait initialement en marge. Comme le dit Emmanuelle Devos à propos de ses apparitions dans les films d'Arnaud Desplechin : « je suis toujours ou presque arrivée au dernier moment, je ne suis pas "prévue" [...], j'arrive en secret comme une invitée de dernière minute que l'on n'attendait pas, ou plus. ». Peut-être est-ce cette présence-absence, cet effacement discret et magnétique à la fois qui fait tout le charme de son jeu.


Aux antipodes de ses rôles de femmes solitaires, mélancoliques, on découvre Emmanuelle Devos sous un nouveau jour dans un téléfilm réalisé par Tonie Marshall dans le cadre de la série d’Arte Gauche/Droite : Tontaine et Tonton (2000). Elle y joue une étudiante fanatique de François Mitterrand, lascive et fantasque, que deux hommes se disputent sans parvenir à la détourner de son idole politique. La même année, dans Esther Kahn (2000) d’Arnaud Desplechin, elle apparait sous les airs d’une italienne sensuelle, d’une danseuse nonchalante à la chevelure blonde vénitienne. Ce sont ces rôles qui lui révèlent sa féminité, jusqu’alors inhibée, timidement dissimulée.


Dès lors, elle jouera des rôles d’interprète féminine principale, dans de poignants duos avec des hommes : Vincent Cassel dans Sur mes lèvres de Jacques Audiard, Daniel Auteuil dans L’Adversaire (2002) de Nicole Garcia, ou encore Vincent Lindon dans La Moustache (2005) d’Emmanuel Carrère. On la retrouve plus tard dans sa carrière non plus en duo, mais davantage en duel contre des hommes : Violette (2013) de Martin Provost où elle joue Violette Leduc, le téléfilm La Loi (2014) diffusé sur France 2 où elle incarne Simone Veil, ou Numéro Une (2017) de Tonie Marshall, un film sur le plafond de verre et la place des femmes dans les grandes entreprises.


Enfin, quittons ses rôles pour revenir à la femme qu’elle est. Lorsqu’Arnaud Desplechin parle de la beauté d’Emmanuelle, il la compare à celle de Liv Ullmann, la « rêveuse mystérieuse » des films de Bergman. Selon lui, sa photogénie, c’est-à-dire la manière toute particulière dont son visage renvoie la lumière, est ce qui la caractérise. La peau de son visage, comme de la pellicule à la fois fragile et résistante, reçoit le réel pour nous le renvoyer d’une façon poétique, pour nous le rendre signifiant là où nous ne le voyons qu’absurde. La beauté d’Emmanuelle Devos n’est pas une beauté évidente, elle est une beauté qui emprunte le détour hasardeux de l’émotion, qui en passe par la pudeur, la vulnérabilité : elle parvient mystérieusement à nous charmer en commençant par nous résister.



 

DIALOGUE AVEC EMMANUELLE DEVOS

MARDI 26 MARS 2019

LES FAUVETTES


COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ...(MA VIE SEXUELLE)

d'Arnaud Desplechin précédé d’une discussion avec Emmanuelle Devos

animée par Léolo Victor-Pujebet et Mathieu Morel

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