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Masterclass - Rithy Panh - VO

À l'occasion du Festival International du Film Documentaire d'Amsterdam 2013, rencontre avec Rithy Panh. Cinéaste franco-cambodgien, Rithy Panh a tout connu de l’horreur du règne des Khmers rouges, les camps de travail comme la mort de la plupart des membres de sa famille. En 1979, il réussit à fuir ces camps de l’horreur pour s’exiler en France où il étudie et découvre le cinéma, celui de Tarkovski, de Paradjanov, de Wiseman, de Brocka, des frères Maysles, le cinéma africain (il consacrera plus tard un documentaire à Souleymane Cissé), mais surtout la force de l’art, qui permet autant de traduire la barbarie que la survivance d’un peuple après la nuit.



Tantôt, il empruntera le chemin de la fiction, tantôt le documentaire, toujours habité par ce « pourquoi ? » auquel il voudrait tant trouver réponse. Porté par le projet de restaurer la mémoire cambodgienne, de nommer le génocide, il trouve dans le cinéma un moyen de reconquérir sa parole, la sienne et celle de son peuple, et de constituer en mémoire cette parole retrouvée. Le cinéma se voudra dès lors chez Rithy Panh espace possible de résilience.


Dès Site 2, son premier film réalisé en 1989 alors qu’il sort à peine de l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC), Panh donne à voir la réalité des camps de réfugiés cambodgiens. Il s’intéresse à l’exil d’une femme qui, loin de sa terre natale, est réduite à partager un espace de quatre km2 avec 175 000 de ses semblables. Le cinéaste dira lui-même de ce premier documentaire, dont il vient de retoucher le montage après 15 ans, qu’il porte les germes de son œuvre à venir. Et même lorsqu’il aborde la fiction, Rithy Panh conserve un regard documentaire, objectif et humaniste. Si Les Gens de la rizière se veut une œuvre naturaliste, Un soir après la guerre trouve dans le mélodrame le ton juste pour mettre en parallèle le triste destin de deux amants et celui de tout un peuple. On en vient à croire que ces incursions dans la fiction ressemblent presque à des apartés dans le travail de Panh tant sa démarche se fond avec le réel documentaire.


Fidèlement soutenu par l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) dans la production de ses documentaires, Panh réalise coup sur coup, en ce début de millénaire, deux films qui l’établiront comme l’un des importants documentaristes actuels. Le premier, La Terre des âmes errantes, donne toute la mesure d’un pays dévasté par la pauvreté et portant le poids de l’héritage tragique qu’auront laissé près de 25 ans de guerre et un régime tyrannique. Rithy Panh y suit la pose d’un câble de fibre optique, signant une œuvre saisissante, construite autour de l’anachronisme que constitue l’enfouissement d’un tel câble en terre de misère. Cette démarche documentaire connaît son aboutissement avec S21, la machine de mort khmère rouge. Film événement en France, S21 n’aura étonnamment connu au Québec que quelques présentations relativement confidentielles. Véritable objet cathartique, S21 dit le génocide par la bouche même des bourreaux, qui reconstituent eux-mêmes la mémoire de l’innommable. Reconstitution des actes de tortures, lecture des aveux, déclamation des slogans khmers rouges : Rithy Panh met en place, autour de la peintre Vann Nath et ses tableaux reconstituant le fonctionnement du S21, une cérémonie troublante s’appuyant sur les archives (photos, cahiers) constituées par les Khmers rouges, seules traces matérielles d’une mémoire déprogrammée.

Libérateur de conscience en ce qu'il a réussi à briser le silence de tout un peuple sur ce qui reste de l'une des plus grandes tragédies du siècle dernier, arpenteur de mémoires tel qu'il se définit lui-même, passeur, Rithy Panh est avant tout l'humble artisan d'un cinéma humaniste, essentiel, noble et magistral.


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