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D’où viens-tu ?
 

J'ai vécu jusqu'à mes 7ans à Trappes dans les Yvelines, avant de déménager dans l'Essonne, à Epinay-sur-Orge, une banlieue moche coincée entre les champs de colza, les centres commerciaux, le Buffalo grill,  les buffets à volonté asiatiques aux décors fantasmagoriques, la bien-pensance pavillonnaire, la mairie de droite et son gazon vert tondu au poil et les quais du RER où j'ai du passer la moitié de mon adolescence à attendre le train.

 

Au collège, j'avais pas vraiment d'amis, je m'étais inscrit sur ZAGAY pour faire des rencontres excitantes, souvent des gars beaucoup plus âgés que moi qui m'emmenaient après les cours boire des cocktails dans le marais (ça me paraissait incroyable à l'époque). Je faisais souvent le mur parce que j'avais pas le droit de sortir après 20h, pour aller à des soirées mondaines à Paris, qui se finissaient parfois en orgie. J'avais l'impression de vivre quelque chose d'extraordinaire, loin de la vie morne du collège.   

Où vas-tu ?

 

En ce moment, j'explore les berges de l'étang de Berre, entre l'industrie pétrochimique, les marais et les salins, c'est exactement là où j'ai envie d'être, entre Istres, Fos-sur-Mer, Port-de-Bouc : ça m'excite de ouf, les bords de villes, les limites incertaines qui sentent la trique et la vase.    

 

Je vais à Beau Rivage, une route entre Berre l'Etang et Saint-Chamas, au niveau de la centrale EDF, juste après une station service abandonnée, où j'ai découvert sur drague.fr l'existence d'une plage échangiste (mais j'en ai jamais vu la couleur) 

 

à Ponteau, un port de pêche en face des cheminées et des raffineries pétrolières de Lavera, au pied des cuves et des sphères à butane, où des tas d'algues imbibées de mer fermentent sur les dalles calcaires crevassées, où des bouquets de salicorne et de fenouil, usés par les embruns, s'accrochent en touffes entre les tiges de fer enfoncées dans le sol 

 

à l'étang de Lavalduc, dans les eaux vineuses et saumâtres, encaissées à -10 sous le niveau de la mer, bordées par des cristaux de sels durs accrochés au sol comme des trainées de foutre, et par un aqueduc ruiné enfoncée dans la pinède, où les gars du coin viennent sucer (je l'ai découvert par hasard). 

 

Et puis Athènes m'attire beaucoup, comme pour prolonger ces rivages. Je vais séjourner là-bas au printemps prochain, pour chercher des nouveaux motifs dans les églises, le port industriel et le long des rivières bétonnées.  

Pourquoi

le dessin ?

 

J'ai souvent un carnet de croquis avec moi, ça me permet de mieux regarder, et faire attention aux détails : les motifs sur la frise d'une corniche, la texture d'une feuille d'agave, l'entrelacement de palmes qui débordent d'un mur, ou la succession des églises, des immeubles, des pinèdes et des pylônes électriques sur une ligne d'horizon. Ce qui m'excite, c'est rassembler sur le même plan les corps, les morceaux de villes, la garrigue et tout faire vibrer sur la même ligne. 

 

Sur le terrain, je cherche pas à faire des beaux dessins, mais plutôt  à entrer en dialogue avec le paysage : je laisse aller ma main, sans trop réfléchir. C'est comme une méditation, je me laisse happer par ce qui m'entours, et les lignes viennent toutes seules, comme si elles étaient déjà contenues dans le paysage.   

 

Le dessin, c'est aussi une façon de raconter et documenter les territoires que je traverse. Quand je dessine une agave, par exemple, j'aime savoir que ce n'est pas n'importe quelle agave, pas une agave générique, mais une agave appartenant à un lieu donné, inséré dans un certain biotope. Les agaves du Mont Rose sont énormes, monstrueuses, tandis que celles du bois sacré se font bouffer par le charançon noir. Sur les îles du Frioul, elles sont arrachées et pourrissent au soleil dans de grands sacs.  

 

Quand je dessine en atelier sur des plus grands formats, ou sur des plaques de cuivre pour l'eau-forte, je passe des jours sans voir personne à recomposer minutieusement mes croquis de terrain : un pont, une cheminée, un château d'eau, un lavoir, une antenne radio, une grue, une roselière, et je trace des contrées imaginaires avec tout ça. C'est là que j'intègre les personnages, à partir de vieilles revues pornos ou de fanzines sur les sexualités hard trouvées dans nos archives transpédégouines, pour créer des histoires et du fantasme, transposer nos désirs sur des lieux tendres.  Je considère qu'un dessin est réussi s'il y a de la tendresse à un endroit, une certaine douceur. C'est ça que je recherche. 

Ton écriture

 

Dans mes textes, j'invite les gens à pénétrer le paysage, comme on rentre dans un conte. Je suis pas très doué pour le lyrisme, pour parler directement des émotions à la première personne.  

Pour décrire un lieu, j'y retourne plusieurs fois pour me plonger dedans, dormir, me branler, arpenter, marcher, herboriser... je prends des notes dans un carnet, que je laisse décanter avant de travailler au propre. Je passe aussi beaucoup de temps dans les livres de botanique, de géologie, d'écologie pour comprendre un territoire, son mouvement, et trouver le bon vocabulaire pour le caractériser. Je cherche toujours la forme la plus simple et la plus concise : plusieurs pages se transforment souvent en quelques phrases, comme si j'essorais le paysage, pour n'en garder que le jus.  

 

Par exemple, pour mon texte "Quand la ville bande", où je raconte une nuit de drogue et de baise au jardin des tuileries, je suis allé fouillé dans les livres d'architectures pour décrire au mieux les façades du palais du Louvre (les architraves qui débordent des murs, les corniches fleurdelisées, les modillons à têtes de faunes...), et caractériser précisément la forme des topiaires du labyrinthes, un peu comme si j'écrivais un documentaire naturaliste.  

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Les garçons ?

 

J'aime les garçons qui échouent à être des garçons, les garçons maladroits et pas sûrs d'eux.  

À propos de la nuit ?

 

A Marseille, le milieu de la fête devient uniforme et gentrifié. Depuis les travaux de la plaine et le durcissement des lois anti squats, y a plus la même fièvre, la même passion militante des années 2010. Je suis méfiant des nouveaux bars queer qui ont ouvert depuis le déconfinement et l'attractivité soudaine pour Marseille.   

Mais j'aime bien trainer la nuit pour draguer dans la rue, sur la Canebière, quand tout s'inverse et que les hétéros deviennent pédés. Ce que j'adore aussi, c'est me défoncer la journée, retourner le monde dans la clarté du jour, c'est beaucoup plus excitant que la nuit.   

 

La dernière fois par exemple, à Berlin, je suis allé un matin à Grunewald, une forêt de hêtres et de pins, avec une grande clairière de sable où ça drague fort. J'avais du gober 2g de 3 et de speed. La forêt frétillait, je me sentais lié à tous les mecs que je croisais.  J'avais l'impression que la forêt entière se transformait en espace de drague, que les limites se  dilataient. Je me suis branlé de partout, dans le humus, sur les buches en décomposition, toute ma trique était  suspendue à la forêt. Je pétillais. A vrai dire, c'était beaucoup plus excitant que d'aller se défoncer au Berghain, de payer 30 balles pour se retrouver dans un espace de liberté enfermé dans une boîte.  

Un trip ? 

 

J'adore marcher des journées entières sous opium, vers les périphéries de ville, les lieux vagues, jusqu'à ne plus sentir mes pieds, puis m'arrêter dans des cafés. 

Le son qui te rend lucide.

Le vrombissement sourd des bateaux conteneurs sur un port, dans la rumeur de la ville estivale, chaude et fiévreuse, où les cloches et les chants débordent des églises, et se mêlent au brouhaha lointain des rues rasées par le soleil de 18h. 

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Un paysage.

 

Un morceau de garrigue brulante, plein de cistes et de romarins, ouvert sur les ruines d'un temple circulaire et une zone plus marécageuse avec un large ponton en bois englué dans la vase, des dunes blondes, une plage de salicornes autour d'un port de pêche, avec des baraques en bois donnant sur un archipel d'îles pleines d'agaves en fleurs. Plus loin, la grande ville : des buildings aux façades clignotantes, des églises byzantines cognant sur les échangeurs autoroutiers, des palais de rocailles blanches d'où surgissent des palmeraies, des aqueducs, des canaux et des bouts de forteresses accrochés à des collines pentues, où émergent des forêts de colonnes et de statues étranges entrelacées. J'adore les paysages qui se frottent et se cognent, les salins du Lion face à l'aéroport de Vitrolles, l'église de Fos-sur-Mer face aux usines métallurgiques, ou le château ruiné de Ponteau, bordé par les rails et les carrières, les pipelines et les pins.  

Un rêve.

 

Pourquoi pas m'occuper d'un jardin sec dans un monastère sur une île méditerranéenne, avec des aromatiques, une grande variété de sauges, plein d'acanthes, et des plantes tinctoriales, au centre d'un cloître avec des allées minérales et fraîches, et des salles pour célébrer la garrigue, avec des autels de toutes les formes, des grands cierges de plusieurs mètres, des icônes tendres lovées dans de larges retables en bois et une chapelle consacrée aux désirs, avec des fresques d'agaves, des vitraux d'agaves, une immense peinture d'agave sur la coupole, et de larges feuilles d'agaves encastrées dans les murs. 

Plus loin, j'imagine une caverne à flanc de falaise, ouverte aux embruns, pleine de croute de sels sur les murs, et des lambeaux de peintures de paysages venant d'un autre temps, où je chanterai tous les jours des poèmes solaires et obscènes.  

Romantique ?

 

Oui !

Bukkake ?

J'adore les volcans.  

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Paris ou Marseille ?

Je suis très attaché à Marseille. Je suis arrivé ici y a 10ans pour étudier le paysage. C'est vraiment une histoire d'amour. Je m'émerveille tous les jours. Paris me rend triste, j'y vais parfois pour des expos ou des salons, mais j'y reste jamais plus de 2 jours.  

Une phrase qui te ressemble.

"Que faire de tous ces morts, où vivre, comment s'aimer?"  

Mathieu Riboulet Les Œuvres de miséricorde

 

Pourquoi es-tu Fauve ?

Parce que j'adore m'allonger nu au soleil sur le calcaire chaud, au creux d'un paysage caniculaire. 

Lazare Lazarus est sur instagram

 

Portraits © Marc Turlan

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BY HORSCHAMP | 2021

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