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Larry Clark
JEUNESSE(S)

« Beaucoup de personnes me détestent parce que j'ai décidé de montrer la vérité»

Portraitiste de l'adolescence, ses méandres et ses amours, Larry Clark défraie la chronique depuis plusieurs décennies. Le photographe et metteur en scène s'est engagé sur oeuvre jalonnée de détracteurs et de censeurs, mais aussi d'admirateurs éternellement fascinés par le regard qu'il a su porter sur la jeunesse, la sexualité et les relations parents-enfants. Le réalisateur de Kids, Ken Park ou The Smell of us se livre aujourd'hui sur son oeuvre et sa vision du cinéma. Éternellement jeune, Larry Clark démontre son talent et l'énergie qu'il consacre à son travail à travers des films toujours plus aboutis, plus puissants, plus dérangeants et à même de définir et interroger sur ce qu'il advient de chaque enfant lorsque le temps l'emporte vers les troubles et la noirceur que constituent le monde des adultes.

par Mathieu Morel et

Léolo Victor-Pujebet

Vous dites que vous n’avez pas eu une enfance et une adolescence heureuse…

Non elles ne l’étaient pas. Pas du tout. Je n’étais pas un garçon heureux. Je ne parlais pas beaucoup et je crois que c’est pour ça que j’ai fait de la photographie. Pour découvrir les secrets des gens sans avoir à leur parler. 

 

A ce titre, est-ce que vos films vous ont aidé à vivre une seconde adolescence ?

C’est une très bonne question. Mais je n’ai pas la réponse. Et comme je n’ai pas fait mes films dans l’idée de revivre mon adolescence, je ne me suis jamais trop penché sur cette idée. Tout ce que je sais, c’est que travailler dur, comme je l’ai fait sur chacun de mes films, vous aide à rester jeune. D’autant plus lorsqu’on travaille avec des ados. Ça ne m’a pas rendu ma jeunesse, mais j’ai pu gouter à nouveau à ce qu’on pourrait décrire comme un sentiment, une ambiance adolescente.

En tant qu’adulte aujourd’hui, êtes-vous heureux ?

Oui, je suis heureux. Mais vous savez, être heureux est bien plus simple que ça en a l’air. Il suffit de comprendre le truc. Etre heureux ou malheureux c’est un choix. Moi, j’ai choisi d’être heureux, alors je le suis.

Qu’ils viennent d’ici et d’ailleurs, dans le temps et l’espace, est-ce que les adolescents restent les mêmes ?

Plus ou moins. Mais dans l’ensemble, je dirais que oui. Ils sont avant tout innocents et le principal sujet de mes films, c’est bien l’innocence. Les époques changent, les modes de vie ne sont pas les mêmes ici ou ailleurs. Mais l’innocence, c’est l’innocence. Elle est la même partout et je l’ai bien constaté. C’est aussi ce que j’essaye de retranscrire. 

Vous avez dit un jour que tout avait déjà été fait, que tout avait déjà été vu.

Et bien finalement, j’espère que non. La majeure partie des sujets ont été traité, c’est vrai que nous avons l’impression d’avoir tout vu… Ou presque. Il doit bien rester quelque chose. J’espère que mon prochain film nous aidera à répondre ensemble à cette question. Je travaille sur un projet pour l’année prochaine, il s’appelle « Five women » et je suis sûr que ce sera une expérience intéressante pour moi, donc je ne peux pas dire que tout a été vu. Sinon pourquoi iriez-vous le voir ? (rires).

"quand un jeune décide d’être seul, il le devient vraiment"

La sexualité des adolescents, leur nudité… Beaucoup dénoncent ces éléments de vos films, ces personnes semblent systématiquement perturbées. Pensez-vous qu’ils n’arrivent pas à faire la différence entre l’enfance et l’adolescence ?

Très sincèrement. Je n’en sais rien. Je ne sais vraiment pas pourquoi tant de gens deviennent fous à cause de ça, pourquoi ils nous tapent si fort dessus quand on raconte la sexualité des ados… Et concernant la nudité, c’est très étrange… Au cinéma on a le droit de voir un adulte nu, on a le droit de voir un enfant nu. Mais un adolescent nu, ça perturbe beaucoup ! Certaines personnes ont un problème avec tout ça et je ne sais pas pourquoi. Mais c’est aussi pour cette raison que je fais ces films.

Beaucoup de gens ont décrit Ken Park comme un film dangereux…

Oui c’est un film dangereux. Evidemment. Parce qu’il raconte la vérité. Beaucoup d’adolescents n’ont tout simplement pas de figure parentale. Aucun adulte pour les aider ou leur donner quoi que ce soit. Garder son enfant sous son toit, ce n’est pas s’occuper de lui. Il s’agit d’autre chose. Il faut être là pour ses enfants, sinon on en paye le prix un jour l’autre. Et c’est précisément ce qui fait peur aux gens. Quand un adulte a peur de son enfant c’est qu’il a quelque chose à se reprocher… Les adultes ont aussi tendance à utiliser leurs enfants, comme nous en parlions avant. C’est comme ça que se crée le rejet. Si un adolescent n’est pas aidé, alors il se suicidera. Ou alors il trouvera du réconfort auprès de ces amis. Et l’effet de groupe devient une question de survie, ils se sauvent mutuellement. Vous remarquerez que les adolescents les plus meurtris se trouvent toujours, ils s’attirent et deviennent amis. Ils se réconfortent aussi par le sexe, et c’est très beau, parce qu’ils s’aiment et essayent de trouver de la douceur, de la chaleur et de la beauté. Mais on ira également leur reprocher ça ! Ken Park parle de tout ça, le film met en avant cette vérité : que les parents ne font que des conneries ! C’est un très bon film vous savez. Un très bon film.

Pourquoi faites-vous du cinéma ?

Et bien… Je sais en faire. Plutôt bien. Et j’aime faire du cinéma. Vous savez, je crois que j’ai toujours été un conteur. Le gars qui raconte des histoires. Devenir réalisateur est venu naturellement. « Tulsa » devait-être un film à l’origine, mais c’était assez compliqué. J’ai néanmoins essayé de faire en sorte qu’il ressemble à un film, à sa manière. Avec ses histoires, ses enjeux dramatiques, ses moments tristes, ses moments de joies… Oui pour moi c’était déjà un film.

Avez-vous une manière spécifique de diriger de jeunes acteurs ou bien travaillez-vous à l’instinct ?

On travaille différemment avec chaque acteur. Je pense que c’est le cas pour tout le monde. On ne peut pas agir de la même manière selon son âge, son sexe, d’où il vient… Je travaille avec des individus différents et je les traite comme tel. Quand une personne joue pour la première fois, ce sera très différent d’une personne qui a été dirigée toute sa vie. Comme mes acteurs sont souvent jeunes et novices, je prend vraiment mon temps, je les fais travailler dur et j’essaye d’être très proche d’eux dans ma direction. Je laisse plus de liberté et ne suis pas constamment sur le dos des acteurs expérimentés, voilà la différence.

Dans vos films, on a l’impression qu’être adulte est une maladie.

Une maladie ? (Rire) C’est génial ! Je ne l’avais jamais vu comme ça. Vous savez, je connais trop d’adultes et de vieux qui se servent des jeunes à des fins personnelles, qui les utilisent, d’une manière ou d’une autre. Il y a quelque chose de mauvais là-dedans, donc on pourrait peut-être voir ça comme une maladie ! C’est pour ça que tant de jeunes rejettent les adultes et que certains les quittent définitivement et choisissent d’être seuls… Et quand un jeune décide d’être seul, il le devient vraiment. Et pour très longtemps. Mais le rapport entre les adultes et les gosses, c’est ce qui m’intrigue le plus. Donc la question est très intéressante… (un temps). Vous savez j’ai eu beaucoup de mal avec les gamins qui jouaient dans Wassup Rockers. Tout le monde était très surpris par leur comportement et l’on m’en a beaucoup parlé. Mais je répondais toujours la même chose : ils sont eux-mêmes ! C’est tout ! C’est difficile à gérer, je vous l’accorde, mais ils sont eux-mêmes. Ils n’essayent pas d’être quelqu’un d’autre, ils n’essayent pas de prétendre ou de faire semblant. On ne peut pas rêver mieux quand on fait du cinéma, non ? Et voilà ce que c’est que d’être adolescent : être soi-même et tant pis pour les autres. La maladie ce serait donc de commencer à faire semblant… Ce qui arrive toujours, passé un certain âge.

"Quand les gens ont peur, ils deviennent dangereux"

Avez-vous conscience des risques de censure lorsque vous faites un film ?

Non. En fait je suis toujours surpris. Même choqué. Mais je n’y fait pas attention, je fais mes films comme je l’entends et je ne pense pas à tout ça sur le moment. Et puis la censure et l’interdiction de nos jours, ça n’a aucun sens. Si quelqu’un veut voir un film il le verra. En DVD ou sur internet.

Vous sentez-vous compris ?

Honnêtement, je n’en sais rien. Parfois certaines personnes disent adorer mes films mais pourtant je vois bien qu’ils ne les ont pas compris. Donc cela dépend de plein de chose. Mais je ne me pose pas vraiment la question. Je travaille beaucoup, je travaille durement et mon avis sur le résultat est très important. Si certains ne comprennent pas ma démarche, tant pis. Compris ou incompris, je continuerai de faire mon travail.

A propos de The Smell of Us, il parait que la scène de Dominique Frot était une improvisation totale ?

Oui ! Oh mon dieu, c’était incroyable ! C’est la meilleure scène du film. D’ailleurs c’est la meilleure scène que j’ai filmé de toute ma vie ! C’est une véritable folie, je n’en crois toujours pas mes yeux. Cette femme est extraordinaire. La scène s’est déroulée puis j’ai demandé à couper. Elle m’a dit : « Vous coupez ? Mais je peux continuer, je peux faire plus si vous voulez ? » Vous vous rendez compte ? C’est une formidable actrice, j’aurais aimé tourner plus longtemps avec elle mais la première prise était la bonne. Parfaite.

Alors la vérité est dangereuse ?

Bien sûr qu’elle peut l’être. Parce que les gens ont peur de la vérité. Et quand les gens ont peur, ils sont dangereux. Comme les bêtes. C’est sur cette idée que reposent les gouvernements. S’ils cachent la vérité, c’est bien parce qu’elle est dangereuse. Beaucoup de personnes me détestent parce que je montre la vérité.

Mais être autant aimé que détesté, c’est bon pour un artiste, non ?

Tout à fait ! Et je suis un des mieux placé pour en parler. Quand je fais un film, c’est toujours 50/50. La moitié adore, l’autre moitié déteste ! Mais c’est probablement ce qu’il y a de plus intéressant dans l’art, donc je ne m’en plains pas. Je laisse faire.

Vous avez un jour dit que le skateboard pouvait sauver une vie. Le cinéma aussi ?

Bien sûr. Quand quelque chose vous donne du réconfort, il faut s’y précipiter, même si c’est le punk-rock ! Et c’est en ce sens que ça peut sauver des vies. Pour le skate c’est évident ; c’est une échappatoire, une liberté. Mais l’on peut aussi s’évader d’autres manières. Avec la musique. Et bien sûr avec le cinéma. Regarder des films, mais aussi en faire ! Faire un film demande un tel investissement émotionnel et physique, une telle énergie. Cela vous donne une grande liberté. On se sent bien vivant quand on donne tout ça et j’ai l’impression que les jeunes d’aujourd’hui utilisent parfaitement toutes les technologies qui leur permettent d’être créatifs. C’est formidable de voir des gosses faire un film avec un téléphone portable et y prendre du plaisir. Mais ça peut concerner tous les arts. Vous remarquerez que les enfants et les adolescents sont très créatifs, je crois qu’ils ont besoin de se sentir vivants. Puis les adultes se débarrassent de tout ça…

"COMPRIS OU INCOMPRIS, JE CONTINUERAI DE FAIRE MON TRAVAIL"

"CROYEZ-LE OU NON, JE SUIS UN ROMANTIQUE"

Pete Doherty et Bouli Lanners devaient jouer les deux personnages que vous interprétez dans le film. Avez-vous réécrit ces scènes lorsque vous avez su que vous devriez les interpréter vous-même ?

Non, tout s’est fait dans l’urgence vous savez. Ils ne sont pas venus. Il fallait une solution. Quand on fait un film, on ne peut pas s’arrêter comme ça, il faut toujours trouver une solution rapidement. Et la solution je l’ai trouvé. Pour la scène où je lèche les pieds du jeune homme, tout le monde m’a dit « ne le fais pas Larry ! On va te prendre pour un tordu, on va croire que tu es un fétichiste des pieds ! » mais je n’en avais rien à foutre ! Il fallait bien faire quelque chose. Mais ils avaient raison, regardez le résultat… On ne me parle que de cette scène, on me prend pour un obscène, c’est ridicule. Mais je m’en fou complètement. J’ai fait ce que j’avais à faire dans l’intérêt du film. Et c’est mon meilleur film.

Ça ressemble à quoi, l’amour avec Larry Clark ?

Très bonne question. Rétablissons ensemble la vérité. C’est une très bonne chose de vivre avec moi. J’ai une femme, des enfants. La semaine prochaine je serai grand-père pour la deuxième fois… Tout le monde est heureux, ma femme est heureuse. Croyez-le ou non, je suis un romantique. 

Forever young ?

(Rires). Je ne sais pas. J’espère ! En tout cas j’y travaille.

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